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Un journaliste engagé n’est pas un journaliste militant.

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Les français aiment les journalistes engagés ! Cette conclusion qui figure dans la 37ème édition du Baromètre La Croix / Kantar Public publié récemment bouscule bien des idées reçues. Dans cette période de tensions nationales et internationales les échanges sur les réseaux sociaux accréditent pourtant l’idée que nos compatriotes aux convictions bien établies voient dans chaque journaliste le porte-parole du camp adverse. Les journalistes évitent depuis longtemps de se revendiquer objectifs et visent d’abord à être honnêtes dans la restitution des faits. Être engagé n’est cependant pas être militant.

Sondage La Croix imageL’enquête annuelle de Kantar pour La Croix a interrogé 1500 personnes âgées de 18 ans et plus composant un échantillon représentatif de l’ensemble de la population. Comme chaque année, leurs réponses expriment un fort sentiment de défiance pour ce que disent les médias sur les sujets d’actualité (57 % des personnes interrogées), et la conviction que les journalistes ne sont pas indépendants des partis politiques et du pouvoir (59%).  Pourtant, les mêmes personnes sondées jugent positif l’engagement des journalistes. A la question « certains médias ou journalistes revendiquent de plus en plus d’être engagés et de défendre des causes importantes à leurs yeux. Selon vous, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? » 67 % répondent que c’est une assez bonne chose ou une très bonne chose pour la liberté d’expression et la liberté d’information, 61 % pour la qualité du débat public, et ils sont encore 58 % à considérer que cela est une bonne chose pour la qualité et la fiabilité de l’information délivrée.

Le paradoxe n’est qu’apparent. Le public sait que l’objectivité n’existe pas. Si une majorité de journalistes ne sont pas « dépendants » des partis politiques, tous ont des convictions personnelles, des valeurs qui guident leur choix et influent, qu’ils l’acceptent ou non, sur leur travail. Et finalement, les réponses du sondage leur disent : « Assumez ! Soyez transparents ! ». Cette injonction fait écho aux choix que font aujourd’hui des journalistes comme Hugo Clément ou Paloma Moritz qui traitent de la crise climatique, ou David Dufresne qui enquête sur les bavures des forces de l’ordre. Mais elle est aussi une accusation de duplicité, notamment quand elle cible des journalistes qui nient basculer régulièrement de l’exposé des faits au journalisme d’opinion.

Comme tout un chacun , un journaliste peut orienter sa vie professionnelle dans un sens conforme à ses valeurs et ses convictions. « Il est peut-être temps que les journalistes reconnaissent qu’ils écrivent à partir d’un ensemble de valeurs et non simplement de la poursuite désintéressée de la vérité » fait observer Michael Schudson, professeur à la Columbia Journalism School. Le choix du média, du sujet, de l’angle est le début d’un engagement. Choisir de suivre professionnellement les questions liées à l’immigration peut être une façon de mettre en accord son métier et des valeurs personnelles de solidarité et de fraternité. Ce genre d’engagement guide la vie d’une personne y compris dans sa dimension professionnelle. Une passion pour un sujet peut aussi conduire à une forme d’engagement.

Engagé, le journaliste ne doit avoir comme objectif qu’informer le public, pas de servir une faction ou une cause. L’ancien patron de Libération, Laurent Joffrin, reconnaît qu’un « journaliste engagé n’est pas un journaliste militant » mais ajoute que «  les bons militants, en général, font de mauvais journalistes. Un militant défend une cause comme un avocat défend un client. Donc il aura toujours tendance à éliminer ce qui peut-être gênant pour la cause. » Même « engagé », le journaliste veillera alors à considérer les faits sans parti pris, à pratiquer le doute, à penser contre lui-même. Et si, porté par cet engagement au nom de ses valeurs, il est amené à dire son opinion sur les questions qu’il traite, il le fera clairement, en  s’appuyant sur des faits vérifiables et sans en omettre d’essentiels à la compréhension. Comme l’écrit Daniel Cornu, un ancien rédacteur en chef du quotidien La Tribune de Genève, «  nous ne pouvons prendre nos valeurs personnelles comme des dogmes ou des vérités absolues. »

C’est lors des interviews que le public considère le plus les journalistes comme partisans. Il faut rappeler, hélas, que conduire une interview n’est pas défendre un point de vue. Ce n’est pas une confrontation. C’est accepter d’entendre ce que quelqu’un a à dire sans se limiter à ce qu’on veut lui demander et parfois lui faire dire. Mais écouter n’est pas être complaisant. Si le rôle de l’intervieweur est de recueillir le point de vue de son interlocuteur, il est aussi d’en faire apparaître les incohérences et les contradictions. Cela n’est pas être partisan ou partial : dans cette joute verbale, le journaliste ne présente pas les points de vue divergents de ceux de son interlocuteur comme étant les siens. Il source les objections qu’il oppose aux propos tenus, et évite de relancer son interlocuteur par des affirmations en privilégiant le mode interrogatif.

Dès qu’il passe du rôle de témoin critique à celui d’acteur, par exemple en criant des slogans dans une manifestation qu’il couvre ou, on l’a vu hélas, en applaudissant le politicien qui vient de parler, il cesse d’être purement journaliste. Le mot clef de la déontologie du journalisme est indépendance. Tout ce qui brise cette indépendance doit être évité. La question est alors : être membre d’un parti, d’un syndicat ou d’une association est-il compatible avec cette indépendance ?

Les textes déontologiques parlent « d’esprit critique, de véracité, d’exactitude, d’intégrité, d’équité, d’impartialité » mais n’évoquent pas directement la possibilité pour un journaliste d’être encarté et militant au sein d’un parti politique. Ce serait édicter des règles qui reviendraient à priver les journalistes d’un droit essentiel de chaque citoyen : celui d’avoir son libre arbitre pour s’exprimer et s’engager. Quelques conseils de presse en Europe (pour l’essentiel dans d’anciennes démocraties populaires où ces conseils ont été créés après 1989…)  indiquent dans leur code éthique que « le journaliste n’a pas d’activité politique qui peut conduire à un conflit d’intérêts et mettre en doute son impartialité ou son objectivité .» Il y a dans certains journaux, par exemple à Contexte.com, des chartes qui imposent aux journalistes de déclarer leur conflits d’intérêts , ce qui va couvrir les engagements syndicaux et politiques.

Chacun reste libre d’adhérer où il veut, et gère les contradictions que cela crée selon sa conscience … jusqu’au moment où les faits qu’il recueille sont en opposition avec les intérêts du parti auquel il appartient!  La pratique est de séparer strictement les fonctions de journaliste et d’activiste. Celui qui milite dans un parti ne couvrira pas la politique et évitera les sujets sur lesquels ce parti s’investit. Un cas fréquent est le journaliste local qui devient conseiller municipal : il devra se déporter des sujets concernant sa commune pour éviter tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. Sans doute est-ce plus difficile à faire qu’à dire, sauf à renier ses convictions régulièrement, et on comprend que certains posent comme principe qu’un journaliste évite de s’engager personnellement.

La lecture des chartes de déontologie  — « un journaliste digne de ce nom (…)   tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles » –  apporte alors une réponse claire : ce qui prime, c’est l’information du public et l’intérêt général, pas celui partisan de la formation à laquelle on adhère.

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